C’est en dirigeant un laboratoire du CNRS consacré aux mots et aux dictionnaires que Jean Pruvost a contracté une dicopathie incurable. Chaque foyer possède au moins un exemplaire de ce condensé d’érudition, inlassablement mis à jour par l’usage et codifié par l’Académie. Ivre des mots, ce dicolâtre vit, lui, entouré de 10 000 dictionnaires.
Créateur d’une Journée annuelle des dictionnaires qui réunit depuis vingt ans des linguistes du monde entier, il se livre à un passionnant effeuillage de l’objet de toutes ses convoitises dont il goûte jusqu’à l’odeur... On découvre l’histoire passionnante de ce best-seller méconnu et mille anecdotes. Comment, au XIXe siècle, la « fesse » a-t-elle été jugée si indigne qu’elle a disparu de certaines éditions ? Pourquoi trouvait-on la définition d’« un » automobile ou d’« une » cyclone avant que Littré ne change d’avis pour ce dernier mot ? Le « sexe féminin », « sexe imbécile » selon Furetière, n’y était guère mieux traité que l’« étudiante », cette « jeune fille de condition modeste et de mœurs légères ». Et que dire de ce collégien qui a rageusement biffé la mention des 30 000 mots annoncée sur la page de garde de son dictionnaire pour les remplacer par 28 943, selon son décompte ?
De Furetière et Vaugelas au Robert en passant par le Littré, la saga des Larousse ou le Dictionnaire de l’Académie, Jean Pruvost nous fait partager son addiction pour les mots de la langue française, leur histoire et leurs secrets.
Auteur : Jean PruvostSérie :
Editeur : J.C Lattès
Date parution : 08/10/2014
Format : Ebook
Première page
La première avait dix sept ans. J'en avais un peu plus de vingt. Qu'elle était belle dans sa jaquette, rose ! Un dos de rêve. Ah, pouvoir l'effeuiller chez soi, tranquillement... Elle ne m'avait pas coûté bien cher. Mon épouse l'adorait.
La seconde conquête était plus âgée, la quarantaine, le dos un peu cassé, deux kilos, mais quelle allure ! Vraiment, une belle prise... Et elle sentait si bon. Le vieux papier.
Elles se succédèrent ; bientôt je ne les comptais plus, toujours plus âgées et si craquantes, parfois plus de trois cents ans : d'un vide grenier à l'autre, ces merveilles, mes dictionnaires, sitôt en mains s'épanchaient sur mon bureau, pour se reposer ensuite, au chaud, dans la biliothèque, toujours prêtes à livrer de nouveaux secrets.
Pareilles merveilles se bousculèrent vite sur une étagère, puis sur deux, dix, enfin ce furent plus d'une centaine d'étagères partie sans vergogne à la conquête éperdue de tous les murs, avec leurs milliers de dictionnaires palpitants, complices, clignant de l'oeil à mon passage, passeports chaleureux pour l'aventure, grouillant de vie, avec une masse fourmillante de mots, petites ou grands, gros, pétillants, insolents, doux, sautant dans nos bras, pour être dorlotés mais aussi toujours prêts à nous aider, à nous rendre meilleurs.
Il fallut alors acquérir l'appartement voisin car, longtemps, je me suis couché... en entendant s'élever la complainte émouvante de mes dictionnaires. On est trop serrés, on ne repire plus, on n'a pas de place, gémissaient ils. De l'air, de l'air. Ah ! Quelle ruée ce fut lorsqu'ils s'enfournèrent déchaînés dans l'appartement voisin, se faufilant dans l'embouteillage des étagères, pour prendre une bonne place, avant la marée montant de tous ceux qui, libérés de la cave, s'époussetant à la va vite dans l'escalier, rejoignaient leurs camarades et la lumière.
Lu : En coursChronique : Non
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