Les discours se succèdent.
Le général Suter est absent, perdu dans sa rêverie.
Des tonnerres d'applaudissements ébranlent les voûtes de l'immense salle de spectacle. 10 000 voix clament son nom.
Suter n'entend pas.
Il joue nerveusement avec l'anneau qu'il porte au doigt, le tourne, le change de doigt et se répète à mi-voix l'inscription qu'il y a fait graver :
LE PREMIER OR — DÉCOUVERT EN JANVIER 1848
Auteur : Blaise Cendrars
Série :
Éditeur : Gallimard
Date parution : 08/05/1973
Format : Ebook
Première page
Le général Suter est absent, perdu dans sa rêverie.
Des tonnerres d'applaudissements ébranlent les voûtes de l'immense salle de spectacle. 10 000 voix clament son nom.
Suter n'entend pas.
Il joue nerveusement avec l'anneau qu'il porte au doigt, le tourne, le change de doigt et se répète à mi-voix l'inscription qu'il y a fait graver :
LE PREMIER OR — DÉCOUVERT EN JANVIER 1848
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Série :
Éditeur : Gallimard
Date parution : 08/05/1973
Format : Ebook
Première page
La journée venait de finir. Les bonnes gens rentraient des champs, qui une bine sur l'épaule ou un
panier au bras. En tête venaient les jeunes filles en
corselet blanc et la cotte haut-plissée. Elles se tenaient
par la taille et chantaient :
Wenn ich ein Vöglein wär
Und auch zwei Flüglein hätt
Flög ich zu dir...
Sur le pas de leur porte, les vieux fumaient leur
pipe en porcelaine et les vieilles tricotaient de longs
bas blancs. Devant l'auberge « Zum Wilden Mann »
on vidait des cruchons du petit vin blanc du pays, des
cruchons curieusement armoriés d'une crosse d'évêque
entourée de sept points rouges. Dans les groupes on
parlait posément, sans cris et sans gestes inutiles. Le
sujet de toutes les conversations était la chaleur précoce et extraordinaire pour la saison et la sécheresse
qui menaçait déjà la tendre moisson.
C'était le 6 mai 1834.
Les vauriens du pays entouraient un petit Savoyard
qui tournait la manivelle de son orgue de Sainte-Croix, et les mioches avaient peur de la marmotte
émoustillée qui venait de mordre l'un d'eux. Un chien
noir pissait contre l'une des quatre bornes qui encadraient la fontaine polychrome. Les derniers rayons
du jour éclairaient la façade historiée des maisons.
Les fumées montaient tout droit dans l'air pur du soir.
Une carriole grinçait au loin dans la plaine.
Ces paisibles campagnards bâlois furent tout à coup
mis en émoi par l'arrivée d'un étranger. Même en plein
jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce
petit village de Rünenberg ; mais que dire d'un étranger qui s'amène à une heure indue, le soir, si tard, juste
avant le coucher du soleil ? Le chien noir resta la patte
en l'air et les vieilles femmes laissèrent choir leur
ouvrage. L'étranger venait de déboucher par la route
de Soleure. Les enfants s'étaient d'abord portés à sa
rencontre, puis ils s'étaient arrêtés, indécis. Quant au
groupe des buveurs, « Au Sauvage », ils avaient cessé
de boire et observaient l'étranger par en dessous.
Celui-ci s'était arrêté à la première maison du pays et
avait demandé qu'on veuille bien lui indiquer l'habitation du syndic de la commune. Le vieux Buser, à
qui il s'adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit-fils Hans par l'oreille, lui dit de conduire l'étranger
chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sa pipe, tout
en suivant du coin de l'œil l'étranger qui s'éloignait
à longues enjambées derrière l'enfant trottinant.
On vit l'étranger pénétrer chez le syndic.
Les villageois avaient eu le temps de le détailler au
passage. C'était un homme grand, maigre, au visage
prématurément flétri. D'étranges cheveux d'un jaune
filasse sortaient de dessous un chapeau à boucle d'argent. Ses souliers étaient cloutés. Il avait une grosse
épine à la main.
Et les commentaires d'aller bon train. « Ces étrangers, ils ne saluent personne », disait Buhri, l'aubergiste, les deux mains croisées sur son énorme bedaine.
« Moi, je vous dis qu'il vient de la ville », disait le
vieux Siebenhaar qui autrefois avait été soldat en
France ; et il se mit à conter une fois de plus les choses
curieuses et les gens extravagants qu'il avait vus chez
les Welches. Les jeunes filles avaient surtout remarqué
la coupe raide de la redingote et le faux col à hautes
pointes qui sciait le bas des oreilles ; elles potinaient à
voix basse, rougissantes, émues. Les gars, eux, faisaient
un groupe menaçant auprès de la fontaine ; ils attendaient les événements, prêts à intervenir.
Lu : Non
Chronique : Non
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